Connaissez-vous votre « company gravity » ? Ou cette force de résistance naturelle qui vous empêche de développer une relation durable avec vos clients. Voici un article qui vous aidera à trouver de nouvelles solutions pour se rapprocher de vos clients.
Une force de résistance naturelle, mêlant facteurs humains et contextuels, vous empêche de développer une empathie durable à l’égard de vos clients.
Dans un contexte de profondes mutations des offres et de la consommation elle-même, prendre mieux en compte les attentes des clients est plus que jamais une préoccupation majeure des directions générales des entreprises. Pourtant, en dépit d’un volontarisme affiché, les initiatives visant à plus de « centralité client » ou « customer centricity» peinent à entraîner de véritables changements culturels. Ni les mantras ni les outils ne suffisent à eux seuls à modifier les comportements. Alors qu’elles testent à tout-va de nouvelles solutions pour se rapprocher de leurs clients (nouveaux canaux, process agiles, design thinking…), les entreprises oublient de s’attaquer à ce qui tend à les éloigner de leurs clients, à savoir la « company gravity ».
La force d’attraction de l’entreprise
La « company gravity » (ou force d’attraction gravitationnelle interne) est l’ensemble des facteurs contextuels et des biais comportementaux qui ramènent systématiquement les collaborateurs – volontairement ou non – à une perspective centrée sur l’entreprise. Qu’il s’agisse de leur marque, de leur fonction ou de leur carrière, les intérêts liés à l’entreprise ou à l’individu prennent le pas sur ceux du client.
Or, pour mettre sur orbite la fusée de la « customer centricity », il faut certes mettre suffisamment de carburant pour réussir son lancement, mais aussi travailler son design pour réduire les frictions liées à la résistance de l’air. Ainsi, les grands plans « Customer Expérience 3.0 » ou autres, et leur débauche de technologies et de communications internes facilitent avant tout la mise à feu. Mais, bien souvent, après quelques kilomètres d’une coûteuse ascension, la fusée retombe, victime de la « company gravity », cette force de résistance naturelle mêlant facteurs humains et contextuels.
Néanmoins, les sciences comportementales peuvent changer la donne, car elles mettent en lumière les biais invisibles qui sont à l’œuvre dans les organisations. Elles donnent aussi des clés pour agir sur la culture, en partant des comportements.
De l’audit comportemental aux nudges
Pour corriger une trajectoire ou débiaiser correctement un système, un diagnostic efficace est essentiel. L’économie comportementale, la psychologie sociale et les neurosciences offrent pour cela de nouvelles grilles pour décoder nos biais cognitifs, qu’ils soient individuels ou collectifs. Les sciences de la systémique décryptent quant à elles les biais relationnels et motivationnels qui affectent les organisations. Un audit comportemental s’appuyant sur leurs enseignements constitue un point de départ indispensable. Les insights consommateurs inspirent des interventions susceptibles à la fois de réduire les frictions, mais aussi d’encourager les bons comportements. Qu’il s’agisse de solutions organisationnelles, de communication ou bien de création de nudges ou « incitations douces », ces actions, ciblées et combinées, peuvent permettre de lutter efficacement contre la « company gravity ».
1 – L’injonction paradoxale : exiger simultanément deux comportements contradictoires.
Les directions demandent souvent aux collaborateurs de prendre simultanément le point de vue du client et celui de l’entreprise. A titre individuel, vous en avez probablement déjà fait l’expérience : il est difficile d’adopter en même temps le point de vue de votre interlocuteur et le vôtre. Pour adapter sa réponse, il faut d’abord écouter. De même, il n’est pas facile de corriger le texte que l’on vient d’écrire. Ce n’est donc pas en même temps, mais bien de manière séquentielle, que s’organise une réponse efficace au service du client. Dans l’entreprise, cette difficulté est exacerbée quand on donne à une même fonction (marketing, expérience client, ventes…) des missions qui conduisent un même individu à être juge et partie. Peut-on s’occuper en même temps de concevoir ou de délivrer un service de qualité et de mesurer la satisfaction de ses clients ? C’est certainement possible à l’échelle des directions générales, mais quand un salarié vit un conflit d’intérêt qu’il ne peut résoudre à son niveau, il privilégie naturellement son propre parti (quand ce ne sont pas les systèmes d’incentives ou de reconnaissance implicite qui l’y encouragent). Détecter ces zones paradoxales dans l’organisation, pour y ajuster les rôles, les KPI et la gouvernance, permet de réconcilier les intérêts des individus avec les objectifs de « customer centricity ». Travailler sur la séquence temporelle des actions permet à l’organisation de sortir de cette schizophrénie.
2 – La saillance : seul ce qui est visible est présent à l’esprit.
Le client (le vrai, pas le tableau de KPI) est souvent invisible dans les murs. Pour beaucoup, dans l’entreprise, il reste donc une abstraction. Tout, dans l’environnement de travail, ne rappelle au collaborateur que les sujets liés à l’entreprise. Aussi le client est-il, pour la majorité des salariés, « loin des yeux, loin du cœur ». Il est pourtant possible de matérialiser sa présence physique sur le lieu de travail, qu’elle soit réelle ou virtuelle. Paroles de clients, forums, « personas »… Les nudges utilisés doivent avant tout être adaptés au profil du public cible. Les marketeurs apprécieront un lieu connecté qui facilite l’échange direct avec les clients, les vendeurs un espace de jeu de rôle avec un décor et les collaborateurs des services administratifs des vidéos d’interviews de clients, qui leur donneront vie dans les couloirs. Une silhouette en carton avec une étiquette « Monsieur le client » installée dans la salle de réunion ne suffira pas à engager ceux qui ne le côtoient pas.
3 – Le cadrage : les références implicites orientent les actions.
Le jargon enferme souvent dans un système qui met le client à distance. Qu’en est-il d’un client nommé « cible marketing » ? Quand une assurance parle de « dossier sinistre », n’en oublie-t-elle pas l’assuré ? A l’inverse, parler de « guest » plutôt que de client n’est pas un choix innocent dans l’hôtellerie. Le choix des mots dans la communication interne induit la place du client et son contrat relationnel avec ses employés : parlez-vous de « buying experience » ou de « selling ceremony » à vos vendeurs ? Votre service bancaire est-il celui d’une banque à distance ou d’une banque à domicile ? Les mots trahissent toujours une orientation par défaut. La communication interne, en changeant le cadre des représentations, a le pouvoir de modifier les usages. Employer des nudges dans le cadre d’expression de la marque auprès des salariés (marque employeur) comme des clients (marque commerciale) permet d’améliorer son impact relationnel, pour un coût marginal au regard des efforts marketing investis.
4 – Le biais de familiarité : de l’exposition répétée naît l’illusion de connaissance.
« Nous connaissons bien nos clients, nous sommes avec eux tous les jours », disent les vendeurs. Pourtant, cette connaissance n’est souvent que partielle, centrée sur ce que le client veut bien raconter, pas sur ce qu’il ne dit pas. Il est pourtant possible de faire réaliser aux équipes « ce qu’elles ne se savent pas qu’elles ne savent pas » aux moyens de défis ludiques, impliquant de vrais clients. Pour cela, la connaissance du client ne doit pas rester la « propriété » ou la responsabilité d’un seul service : qu’il s’agisse des études ou de la relation client. Pour agir sur la culture client du collectif, c’est sur l’envie du collaborateur d’en savoir plus sur celui qui fait vivre la société qu’il faut jouer – quelle que soit la nature de sa relation au client (accueil, vente, SAV, facturation…).
Au-delà de ces exemples, nous avons cartographié de nombreuses autres composantes de la « company gravity ». Leur influence varie selon les entreprises ou les services audités : biais d’ego, d’excès de confiance, de norme sociale, biais émotionnels, pièges relationnels… Connaître ceux qui dominent dans sa propre organisation est souvent un premier pas vers la transformation. En effet, pour se mettre dans la peau du client, il faut d’abord apprendre à quitter la sienne. Le second pas consiste à mettre en mouvement l’organisation en partant des usages, car les paroles ne suffisent pas. En instaurant avec les collaborateurs des rituels simples, un environnement de travail favorable et des process orientés clients par défaut, il est possible d’agir durablement sur les comportements « customer centric ». Et c’est par l’entraînement que l’on crée cette aptitude à se décentrer de son propre rôle pour prendre un point de vue orienté client, y compris au sein des directions générales. Après le diagnostic, le stretching ! Car c’est grâce à la souplesse qu’acquiert chacun dans ce décentrage séquentiel que l’organisation développe une empathie durable à l’égard du client, capable de compenser la « company gravity ».
Richard Bordenave, publié le 26 novembre 2019 par Harvard Business Review France
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