Santé mentale : repenser le travail
La santé mentale oblige à repenser le travail au Canada. Dans cet article, cinq façons sont exposées pour gérer les problématiques de santé mentale.
Au Canada, chaque semaine, des problèmes de santé mentale empêchent un demi-million de personnes de se rendre au boulot. Et une personne sur cinq sera touchée par de telles difficultés, une des principales causes d’invalidité sur le marché du travail au pays.
Ces chiffres, c’est le CAMH, le Centre for Addiction and Mental Health de Toronto, plus important hôpital spécialisé en santé mentale au Canada, qui nous les a rappelés jeudi, en lançant un nouveau manuel pour exhorter les chefs d’entreprise canadiens à prendre ce sujet très au sérieux et les appuyer.
Parce que les statistiques sont claires : les enjeux de santé mentale leur coûtent cher. Quelque 30 % des demandes de prestations d’invalidité au pays sont dues à des problèmes de santé mentale et le tout représente 70 % des coûts des programmes de paiements pour invalidité. Le CAMH affirme que le fardeau annuel de la santé mentale au Canada est de 51 milliards.
C’est faramineux.
Anxiété, dépendances, dépression… Pensez-y. On en voit partout. Ces chiffres ne devraient pas nous surprendre. Car souvent, ce qu’on perçoit clairement chez les autres, ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Alors comme on est en pénurie de travailleurs en plus, la question ne se pose même pas : les sociétés doivent investir du temps et de l’argent pour permettre à leurs employés d’être en santé, productifs et assez heureux et satisfaits pour rester à leur poste. Ils doivent les aider à régler leurs problèmes dont les sources sont hors du travail. Et ils doivent absolument prévenir, guérir, interdire les toxicités sur place, au boulot.
Car, en plus, si on se fie aux chiffres américains, 20 % des travailleurs qui quittent volontairement leur poste le font à cause de problèmes de santé mentale, et ces statistiques grimpent à 50 % quand on parle des milléniaux et à 75 % pour la génération Z. La relève ne reste pas dans des emplois si elle n’est pas bien.
Dans son manuel, publié en français et en anglais sur le site de l’hôpital, le CAMH propose aux employeurs d’agir de cinq façons pour bien gérer les problématiques de santé mentale dans leurs équipes.
D’abord, le manuel recommande de créer une stratégie de promotion de la santé mentale à long terme au sein de l’entreprise. On parle ici, par exemple, de débusquer la discrimination, les sources de stress indues, de trouver des moyens de permettre aux employés d’exprimer leurs doléances, de se confier sans crainte, d’identifier leurs rêves et de trouver des moyens pour les réaliser. La promotion de la santé mentale passe aussi par la mise en place de mesures qui encouragent, aident les employés à prendre soin d’eux, notamment avec des activités physiques, du yoga ou de la méditation, par exemple.
L’idée ici n’est pas de guérir, mais de tout faire pour prévenir.
Ensuite, deuxième recommandation, le CAMH suggère aux entreprises d’instaurer des formations obligatoires pour les cadres au sujet de la santé mentale. Il faut que les gestionnaires sachent de quoi on parle et qu’ils connaissent et acceptent suffisamment bien les enjeux en santé mentale pour que leurs employés leur fassent confiance. Imaginez avoir à expliquer à un patron que vous avez des problèmes d’anxiété ou que vous vous battez contre une dépendance à l’alcool sans avoir la conviction qu’il va être compatissant et prêt à vous aider. Deuh… Les spécialistes en RH doivent être partout parmi nous.
Troisième recommandation : les entreprises doivent offrir des services de soutien personnalisés. Oui, les programmes d’assurance collectifs incluant toutes sortes de couvertures pour les employés participant aux régimes, que ce soit pour des soins psychologiques et autres thérapies, sont cruciaux. Et ils doivent être généreux pour que les travailleurs aillent chercher l’aide professionnelle dont ils ont besoin pour se soigner et rester au travail.
Mais il ne faut pas s’arrêter à ça, explique le CAMH.
Souvent, les entreprises doivent regarder s’il n’y a pas des mesures plus précises qui doivent être prises, pour des problématiques spécifiques. Le CAMH parle, par exemple, d’une recherche qui a montré que l’entraide entre pairs pouvait être un outil efficace pour la diminution du stress et ainsi des taux d’absentéisme.
On demande, en bref, aux entreprises d’être créatives et attentives. De penser à l’extérieur de la boîte.
Quatrième recommandation : créer des programmes de retour au travail post-congé qui minimisent les risques de rechute. Mesures d’adaptation – notamment aménagement des horaires et des tâches –, suivi par des spécialistes, poursuite des soins… Un retour trop rapide et trop abrupt est trop souvent une cause de rechute.
Finalement, cinquième recommandation : mesurer l’efficacité de ces mesures pour les améliorer si nécessaire. Et constater ainsi s’il y a des retours sur les investissements. Selon le CAMH, les mesures pour aider les employés à arrêter le tabac, par exemple, font directement diminuer les taux d’absentéisme. Ça se chiffre.
Évidemment, quand on lit le manuel, on peut le trouver un peu froid : est-ce vraiment juste pour la productivité et l’amélioration du rendement des investissements en ressources humaines qu’on veut prévenir et guérir les maladies mentales ? N’est-ce pas aussi parce qu’on veut que tout le monde soit bien, heureux ?
Doit-on toujours ramener ces questions à des chiffres et des dollars pour convaincre les gens au pouvoir de la nécessité d’agir ?
Je suis de ceux et celles qui croient que le Québec, que le Canada au complet ont besoin d’un programme national en santé mentale pour que les soins, les besoins soient couverts au même titre que les autres soins de santé.
On devrait tous pouvoir aller chez le psy avec notre carte soleil.
Bravo au CAMH d’encourager les entreprises privées à faire de leur mieux en attendant l’arrivée de ce qui devrait être un des grands programmes politiques structurants de la décennie.
Marie-Claude Lortie publié le 24 janvier 2020 par La Presse
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