Pourquoi avons-nous tant de mal à jouer collectif ?

Pourquoi avons-nous tant de mal à jouer collectif ?

« Jouer collectif », ça veut dire quoi exactement ? Mais surtout, comment pouvez-vous développer et amplifier l’esprit collaboratif au sein de votre équipe ?

Pourquoi avons-nous tant de mal à jouer collectif ?

Difficile de jouer collectif quand notre éducation nous pousse à rechercher les performances individuelles.

Depuis 2016, les écoles sont dotées d’un nouvel outil, le carnet de suivi des apprentissages, utilisé pour évaluer les progrès des très jeunes enfants. Les enseignants le complètent tout au long du cycle de maternelle. Peu de références au collectif y figurent, à l’exception de quelques apprentissages de groupe comme « échanger et réfléchir avec les autres », « collaborer, coopérer, s’opposer » ou « communiquer avec les autres au travers d’actions à visée expressive ou artistique ». Mais l’immense majorité des compétences attendues avant six ans sont d’ordre individuel. Une évolution très timide par rapport au monde d’hier qui valorisait la réussite indépendante, autant qu’il sanctionnait l’échec individuel. A l’opposé, la Finlande a depuis 1968 repensé ses principes éducatifs pour faire face aux enjeux du monde à venir.

Toujours est-il qu’en France comme dans de nombreux pays industrialisés, nous avons tendance à chercher à être les meilleurs individuellement, plutôt que de vouloir contribuer à une réussite collective. Des chercheurs américains ont ainsi mis en évidence les raisons pour lesquelles des salariés seraient amenés à refuser l’aide d’un collaborateur. Parce qu’ils préfèrent travailler en autonomie, veulent protéger leur image, craignent de se sentir redevables vis-à-vis de l’autre, manquent de confiance dans les motivations de leurs collègues ou encore par peur que ces derniers soient incompétents ; nombreux sont ceux qui préfèrent se débrouiller seuls plutôt que de travailler à plusieurs.

L’avenir appartient au collectif

A en croire les études prospectives, le monde de demain sera pourtant tourné vers le collectif. Le Forum Economique Mondial a ainsi prédit que la coordination avec les autres deviendrait l’une des cinq compétences clés, d’ici à 2020. Les Français ont eux-aussi évolué dans leur représentation du collectif : depuis 2016, ils estiment « qu’il est désormais impossible de s’en sortir seul face à l’ampleur et à la globalité des dysfonctionnements du système ».

Il y a donc un paradoxe systémique : d’un côté un besoin reconnu de coopération et, de l’autre, une difficulté sociétale à mettre en place les moyens approfondis d’y répondre. La compétition est notre mode de fonctionnement par défaut. La nature en revanche, qui possède cette force d’adaptation constante, a très bien intégré le fait que la compétition ne pouvait être qu’une posture temporaire, quand il y a un enjeu de domination sociale ou de survie, notamment. Si elle perdure, l’interaction compétitive peut mener chez les animaux à l’extinction de l’espèce. C’est par exemple le cas de l’étourneau de Bourbon, un oiseau de l’île de La Réunion, qui a disparu dans les années 1870 en raison d’une conjonction de facteurs, parmi lesquels la compétition avec une autre espèce de passereau, le martin triste. Les animaux privilégient donc logiquement la coopération, plus économe en ressources et conjuguent généralement leurs intérêts particuliers avec l’intérêt général.

La coopération ne peut être une injonction.

Dans les sociétés humaines, la coopération, au même titre que la confiance, ne peut hélas être une injonction. Jouer collectif suppose non seulement de trouver un moteur, une envie de partager ses compétences, mais également d’être en capacité de le faire. Cela implique d’avoir développé les compétences émotionnelles et situationnelles nécessaires à la construction d’une relation qui dépasse l’instinct de survie. Cela suppose de ne pas se sentir menacé par l’altérité. En entreprise, le partage de connaissances, d’idées ou d’informations stratégiques, l’élaboration de présentations ou de travaux communs existent déjà. Reste à les développer davantage pour que les organisations deviennent réellement apprenantes, responsables et au service de l’ employabilité. Les entreprises seraient alors dans une logique de compétition collaborative ou de « coopétition », c’est-à-dire dans une logique d’alignement des intérêts individuels et collectifs.

Mais jouer collectif n’a pas que des effets positifs. L’effet rebond le plus connu du travail collectif est la paresse sociale : ce phénomène selon lequel plus le nombre de participants pour réaliser une tâche est élevé, plus chacun s’autorise à réduire son engagement. Ainsi, les efforts individuels diminuent proportionnellement avec la taille du groupe. Ce mécanisme a été mis en lumière par Maximilien Ringelmann par le biais d’une expérience débutée en 1882. Il a mesuré la force de traction d’hommes réalisant la tache seuls, puis à plusieurs. Les conclusions révèlent que lorsque l’on dépasse sept personnes, l’effort de chacun diminue de moitié par rapport à l’effort fourni lorsque l’exercice est réalisé seul.

Les effets de la pression sociale sur les comportements

L’absence d’évaluation individuelle encouragerait en effet chacun à se retrancher derrière le groupe. Faut-il y voir une réminiscence de toutes ces années structurantes durant lesquelles nous avons été évalués sur notre performance individuelle ? Certainement. Notre conformisme est par ailleurs susceptible d’augmenter avec la taille du groupe dont nous faisons partie. Plus le groupe est unanime, plus l’individu perd sa capacité à prendre de la distance, a également constaté Sigmund Freud dans son ouvrage « Psychologie des masses et analyse du moi » en 1921.

L’une des expériences les plus criantes sur notre conformisme est celle du psychologue américain Solomon Asch, qui a mené dans les années 1950 des études sur les effets de la pression sociale sur les comportements. Répliquées par la suite des centaines de fois dans une vingtaine de pays, les résultats montrent que les individus conforment jusqu’à 40% de leurs réponses à celles du groupe. Et les Prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler et Cass Sunstein d’ajouter : « C’est presque comme si les gens disaient voir un chat quand on leur présentait l’image d’un chien parce que d’autres l’avaient fait avant eux ». Nous savons encore très mal rester nous-mêmes lorsque nous sommes ensemble.

Les enjeux d’employabilité qui vont être les nôtres dans quelques années nous placent face à une obligation de renouvellement de nos méthodes d’éducation et d’apprentissages de l’interactivité. Nous devons développer des trésors d’inventivité pour apporter une valeur ajoutée humaine à nos projets et nous démarquer par notre intelligence sociale des futures « intelligences » artificielles. Et cela passera indéniablement par le collectif.

Publié le 27 mai 2019 par Emmanuelle Joseph-Dailly, Harvard Business review

 

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